un film de
Martín BECERRIL MERCADO et Boz A. KADJO
Le Film
La France n’est pas un pays d’émigration. D'aucuns en sont quand même partis. Elle n’offre à l’étranger
que le plus illustre de sa population. De nombreux émigrés français étaient pourtant de condition fort modeste.
Du 19e au début du 20e siècle, ceux partis pour le Mexique se sont intégrés dans la société de leur pays d’accueil.
Quelques-uns amassèrent une fortune. Désireux de les imiter, d'autres émigrèrent à leur tour. Mais dans l'eldorado
mexicain, tous ne connurent pas la prospérité. Ce film raconte les pérégrinations de celles et ceux qui ont quitté
Champlitte, en Haute-Saône, et Barcelonnette, dans les Alpes de Haute-Provence.
À L’origine
L’idée d’un film sur les immigrés français au Mexique naît d’une rencontre et de conversations
avec des étudiants Mexicains en France. Là-bas, Français peut être synonyme de Barcelonnettes. Réelle,
l’influence économique de ces montagnards des Alpes y demeure légendaire. Située près de la frontière italienne,
Barcelonnette fut le lieu de départ d'une véritable filière migratoire. En Haute-Saône, Champlitte en fut également
un parmi d'autres en France. Parce que datant du 19e siècle, l'émigration des Français vers le Mexique et
les Amériques est oubliée ou méconnue. Un fait dont témoignent cependant divers auteurs et dont traitent de nombreux
historiens. La découverte de cette documentation importante nous a incité à réaliser un film sur cet épisode de
l'histoire de France et du Mexique plus de deux ans après que deux étudiants nous l'ont rappelé.
L’intention du film
Les migrations depuis Barcelonnette et Champlitte revêtent diverses formes. Au Mexique,
les Chanitois restèrent des agriculteurs. Migration géographique. Une fois en Amérique, les bergers-colporteurs
de la vallée de l’Ubaye se muèrent en véritables commerçants, industriels puis financiers. Migration sociale.
Ces immigrés finissent par devenir Mexicains. Migration culturelle et identitaire. L’activité professionnelle
exercée, la dimension économique donc, fut un facteur agissant parmi d’autres. Car émigrer pour travailler de ses bras
une terre que l’on ne pouvait déplacer conduisit fatalement à s’y attacher. Ceux qui tirèrent profit du commerce,
de l’industrie ou de la finance, auraient pu rester Français en gagnant des capitaux aussitôt rapatriés au pays.
C'était compter sans les événements et l'environnement mexicains. L’immigré français fut culturellement naturalisé,
« mexicanisé ». L’intention du film est de souligner le rôle important que joua le politique.
L’intérêt du film
L'émigration des Français au Québec ou en Louisiane fait partie de la mémoire collective.
Celle vers l'Afrique du Nord est périodiquement ravivée par le souvenir des "événements" ou de la guerre d'Algérie
et des rapatriés. Au Mexique, ancienne colonie espagnole, le Français reste une langue attrayante. Mais dans le passé,
la France n'y eut jamais de nombreux colons servis par une administration dominatrice. C'est par sa Révolution,
son histoire et sa culture qu'elle eut une grande influence sur les élites mexicaines. L'intérêt du film réside dans le
parcours migratoire des Français au Mexique. Leur intégration, complexe, repose sur une diversité de facteurs.
Démographie
«De fait, selon les estimations de Bunle, le total de l'émigration française outre-mer, essentiellement aux Amériques, dans les colonies françaises, et en Europe dépassait pour les années 1821-1930 les 3 millions de personnes. Le phénomène des départs (...) suggère que la France fut un pays d'émigration au moins autant, sinon davantage qu'un pays d'immigration au cours du XIXe siècle.»
François Weil.
Les migrants français aux Amériques (XIXe – XXe siècles), nouvel objet d’histoire. In Annales de démographie historique, 2000-1. Les Français d’Amérique, pp. 5-10 ; doi : 10.3406/adh.2000.1963
https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_2000num_2000_1_1963
Intégration 1
«Dans le combat contre le monopole, les Barcelonnettes se font donc les alliés discrets du gouvernement. Ils deviendront (…) les partenaires privilégiés des Científicos et les fondateurs actifs de l'oligarchie bancaire.»
Javier Pérez-Siller.
L’hégémonie des financiers au Mexique sous le Porfiriat. L’autre dictature. L’Harmattan, Instituto de Ciencias Sociales y Humanidades, BUAP, 2004, p. 99.
Politique migratoire
«Cette année-là, le Général Díaz fit un rapport à ses concitoyens (...) : "L'ancienne colonie de Jicaltepec, dans l'État de Vera-Cruz est en pleine prospérité". (...) Ce constat officiel et positif n'était pas partagé par M. Sempé, le Consul de Vera-Cruz : "Cette assertion est absolument contraire à la vérité. (...) Pour me résumer, je persiste à croire (...) que le Mexique n'est pas encore mûr pour l'immigration, surtout pour celle des paysans, du petit agriculteur français qui n'y trouverait que des mécomptes, des déboires et de cruelles déceptions".»
Intégration 2
«Dans la soirée du 20 février 1891, deux Mexicains, un Français et deux Franco-Mexicains assassinèrent brutalement, au cours d’ un cambriolage, le bijoutier Tomás Hernández dans sa propre boutique, La Profesa, située dans le quartier le plus luxueux de la ville (…). Leur crime, le procès et l’énorme couverture médiatique de l’évènement montrent comment peuvent se croiser au niveau transnational les peuples, les cultures et les discours franco-mexicains, ainsi que les stratégies de survie au sein d’une société en rapide transformation, devant faire face aux contradictions structurelles inhérentes au modèle porfirien d’exportation et de progrès. L’accent mis sur les antécédents des cinq complices permet de se faire une idée du petit monde des Français émigrés appartenant aux groupes les plus marginaux et de leurs descendants.»
Steven B. Bunker.
Le vol avec homicide de la bijouterie « La Profesa ». Dans Javier Pérez-Siller et Jean-Marie Lassus (dir.), Les Français au Mexique XVIIIe-XXIe siècle, Volume 2 savoirs, réseaux et représentations. L’Harmattan 2015, Université de Nantes, Benemérita Universidad Autónoma de Puebla, p. 252.
Historiographie
«Bien que son cas soit irréductible à un modèle précis, [Joseph Couttolenc] arrive au Mexique à la recherche de meilleures conditions de vie (...). [L]a satisfaction de ses aspirations suppose (...) la perte de son identité barcelonnette. Et il en va de même pour ses enfants, fort différents de ceux du Barcelonnette typique (…). Si le cas de cette famille est demeuré presque totalement enterré, cela est dû non seulement au fait qu’il s’agit d’un cas précoce, ayant eu pour cadre un coin de province du Mexique rural, mais aussi et surtout au fait que le patriarche ne soit jamais retourné définitivement au pays natal. Comme l’histoire de ces immigrants a surtout été écrite depuis la France, et notamment depuis la Vallée, elle a essentiellement pris en compte ceux qui sont revenus et qui ont brillamment triomphé : somme toute, les "réimmigrés" les plus faciles à appréhender.»
Leticia Gamboa Ojeda.
Joseph Couttolenc : un pionnier Barcelonnette au Mexique. Au-delà de l’Océan. Les Barcelonnettes à Puebla, 1845-1928. Barcelonnette, coédition Sabença de la Valéia-ICSyH/BUAP, 2004, 344 pages.
México Francia: presencia, influencia y sensibilidad www.mexicofrancia.org (Le titre original de ce chapitre est «Un pionnier Barcelonnette dans l’état de Puebla : Joseph Couttolenc et sa famille mexicaine»).
Pour un autre regard sur les migrants
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